« Le continent africain entre dans la mondialisation par le bas, en absorbant les déchets que vos pays riches auraient du mal à recycler sans nos comportements de mimétismes et extravertis. La structure et la dynamique des marchés locaux, ruraux et urbains, en sont bouleversées.
Le phénomène est mondial, j’en conviens. Je me permets toutefois de rappeler l’une des dimensions appauvrissantes et aliénantes de l’ouverture au marché, qui nous est présentée comme incontournable. Si tel est le cas, l’Occident expansionniste et inconséquent peut s’attendre à des flux migratoires toujours plus importants, des gens déracinés culturellement par la faute d’une mondialisation irresponsable et stupide.
Dans un ordre mondial responsable et décent parce que respectueux des droits humains les plus élémentaires, la Côte d’Ivoire par exemple n’aurait pas eu à s’ouvrir les veines pour approvisionner le marché mondial de tant de cacao, de café et de bois, pendant que sa propre population, en majorité jeune, s’appauvrit de jour en jour, s’exile ou se réfugie dans la revendication ethnique, la religion et / ou la violence sous diverses formes.
Dans le même ordre d idées, le Mali, pays sahélien, et enclavé, ne se serait pas donné tant de mal pour produire une quantité considérable de coton, qu’il vend difficilement parce que ceux-là mêmes qui l invitent à l’ouverture économique inondent le marché. Les Maliens n’auraient pas eu besoin de s’exiler en si grand nombre en Europe et ailleurs, ni d’endosser vos vieux vêtements, ni de dormir dans vos vieux draps dans l’espoir de rêver vos rêves. Les artisans-tisserands , senoufos , peuhl ou bamanan, qui peuplent encore nos campagnes et qui de leurs mains , confectionnent des textiles de qualité , ne seraient pas entrain de galérer à Bamako en attendant un improbable visa pour vos contrées .
L’ordre économique ne nous dépouille pas seulement des richesses de nos sols et nos sous sols, qu’il rétribue mal, il nous vole surtout notre âme et notre dignité, nous n’aspirons qu à vivre debout. Nous nous mondialisons en vous imitant dans les moindres détails, en nous déguisant. C’est ainsi que vos grandes entreprises peuvent prospérer et gagner la bataille de la compétitivité. C’est ainsi que vous équilibrez vos balances des paiements en déséquilibrant les nôtres. Cette supercherie qui dure depuis trop longtemps (traite négrière, conférence de Berlin, post-colonisation ….) n’autorise plus la communauté internationale, qui ne le sait que trop, à pleurnicher sur le sort de l’Afrique.
Elle ne vous donne pas davantage le droit de juger de nos démocraties et de nous dire comment nous devrions démocratiser nos sociétés. Dépossédés des richesses de nos sols et sous-sols, de nos savoirs et savoir-faire, nous de serons plus dans un proche avenir que des peuples qui se saisiront des armes justes pour survivre. »
Extraits du livre de Aminata Traoré “ Lettre au President des français à propos de la Cote d’Ivoire et de l’afrique en général “ pages : 87, 88 , 89